Au-delà de l'information, par Ferdinando Riccardi: Un rapport de l'ONU met en évidence les erreurs du commerce agricole mondial - Changer d'orientation pour combattre la faim dans le monde
L'une des batailles de cette rubrique, la plus ancienne peut-être et la plus insistante, pourrait devenir bientôt partiellement inutile. C'est une bonne nouvelle, car elle signifie que la reconnaissance du rôle de l'agriculture, en Europe et dans le monde, va franchir une étape supplémentaire. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l'ONU sur « le droit à l'alimentation », présentera officiellement son rapport en mars prochain ; mais il en a déjà anticipé les conclusions essentielles. Or, celles-ci condamnent sans appel les orientations qui ont guidé jusqu'à présent le commerce agricole international et qui sont en train de provoquer un désastre alimentaire pour une large part de la population mondiale. Afin de concrétiser le droit à l'alimentation pour tous, d'éviter les famines qui menacent l'humanité, il faut changer radicalement de route. Je vais reproduire, sous une forme schématique, les passages essentiels des déclarations de M. de Schutter publiées dans Le Soir et Le VIF/L'Express (il est Belge et professeur à l'Université de Louvain).
1. Politiques aberrantes. « Les pays pauvres ont été incités depuis 25 ans à prendre appui sur le commerce international pour assurer à leurs populations le droit à l'alimentation. Ceci a échoué. Les pays ont négligé la petite agriculture familiale pour soutenir les secteurs les plus porteurs à l'exportation. Résultat: sur 963 millions de personnes qui aujourd'hui ont faim, la moitié sont des paysans ! Les États doivent privilégier les productions qui correspondent d'abord aux besoins de la consommation locale. Il y a une place pour le commerce, pour les produits tropicaux par exemple. Mais le commerce est injustifié lorsque les pays importent ce qu'ils peuvent produire (…) Les pays les plus frappés par la famine sont ceux qui se sont ouverts le plus tôt au commerce international, au choc de la concurrence mondiale. Des pays qui étaient autosuffisants au plan alimentaire jusqu'à la fin des années 70/début 80, sont devenus importateurs nets de denrées alimentaires. Ils se sont spécialisés dans des cultures comme le café, le coton, le cacao, le tabac, le thé, le sucre - qui ne sont pas des nourritures - pour exporter, pour obtenir des devises et acheter à l'étranger de quoi nourrir leurs populations. Ceci les a rendus extrêmement vulnérables: la sécurité alimentaire ne peut pas se fonder sur le commerce international. »
2. Croyance aveugle et coûts cachés. « On a eu une croyance aveugle dans la capacité de l'agriculture à s'adapter, à devenir plus compétitive grâce à la concurrence internationale et à l'incitant de l'exportation. Mais l'activité agricole suppose des investissements en infrastructures, en communications, en accès au crédit pour les petits paysans: toutes choses qui ont été complètement négligées pendant 25 ans. Je ne parle pas des grandes puissances agricoles comme le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay, mais des pays les moins avancés. De plus, le commerce international a des coûts cachés, des coûts sociaux que les négociations commerciales n'intègrent pas. Avec l'allongement des chaînes de production et de distribution, l'écart entre ce que reçoit le petit paysan et le prix que paye le consommateur est allé croissant. Les intermédiaires ont un pouvoir économique qui leur permet de garder une part importante de la valeur finale. Bilan: les prix sont trop élevés pour les consommateurs et trop faibles pour les producteurs. »
3. Les négociations à l'OMC doivent changer de direction. « Bien que le commerce international représente une part relativement modeste de la production alimentaire, il a eu un impact disproportionné. Mes conclusions sont négatives sur la capacité du commerce international à garantir la sécurité alimentaire à long terme. La souveraineté alimentaire est une notion qui rompt avec l'organisation des marchés agricoles mise en œuvre par l'OMC ». (J'estime qu'en parlant d'organisation des marchés agricoles, M. de Schutter se réfère aux pressions en faveur de la libéralisation presque totale du commerce agricole dans le cadre du Doha round).
Un tournant. Je dois m'excuser auprès des lecteurs habituels de cette rubrique, s'il en existe, car pour eux les concepts qui précèdent sont répétitifs. Mais ils doivent comprendre le tournant que représente, pour le monde en général et pour l'Europe en particulier, le fait que ces concepts ne sont plus simplement défendus par un journaliste, mais représenteront d'ici deux mois la position d'un document officiel de l'ONU.
Il sera alors plus aisé de défendre aussi l'agriculture européenne, activité que l'Europe a le devoir de soutenir non simplement pour sauvegarder sa nature, ses traditions et ses paysages, mais aussi en tant que contribution essentielle et indispensable à la lutte contre la faim dans le monde et en tant qu'exemple de « souveraineté alimentaire » acquise et irremplaçable
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